L‘approche humaniste de l’univers est naturaliste dans tous les sens du terme. C’est-à-dire qu’elle refuse toute forme de surnaturel – tout ce qui se réclame au-dessus et au-delà des lois de la nature, tel le magique ou le mystique. Il n’y a pas « d’être suprême » ni de force qui gère le fonctionnement de l’univers. Bien que nous ne sommes pas en mesure de comprendre tous les aspects de l’univers dont nous faisons partie, les explications naturelles sont en définitive les seules possibles. Il n’est pas nécessaire d’invoquer des théories surnaturelles pour expliquer des choses que nous ne comprenons pas encore. Alors, qu’historiquement l’humanisme dans son sens le plus large n’est pas spécialement antireligieux, l’humanisme moderne l’est beaucoup plus ouvertement. En particulier, il s’oppose au pouvoir surnaturel de la foi et des pratiques religieuses qui militent contre le développement intégral de chaque être humain. Avec pour objectif l’épanouissement individuel et social de chacun et son optimisme, tourné résolument vers le présent, l’humanisme a tendance à considérer la religion beaucoup plus comme son contraire – pessimiste sur la vie, négatif et enraciné dans les traditions du passé. Ce module donc, sera consacré aux raisons que les humanistes laïques et athées ont de rejeter la religion et en particulier, de rejeter la croyance en l’existence d’un être divin.
Il est probable que la religion fut créée en partie pour apporter des réponses à des phénomènes empiriques. Les premiers êtres humains ont cherché à expliquer les anomalies dans leur milieu naturel en faisant référence à une force cachée, un certain élément surnaturel ou des éléments qui donneraient un sens à ces aspects de la vie qui leur étaient inexplicables. Mais ces premières formes de la religion ont débuté, fondamentalement, à partir de besoins et d’une vie empirique d’origine naturelle et non surnaturelle . La nécessité d’expliquer les inondations, la foudre, les tremblements de terre, les pluies au mauvais moment, l’arc en ciel, la foudre, le lever du soleil chaque jour, la naissance et la mort de toutes choses et les expériences qui suscitaient la crainte et l’émerveillement, était à la fois individuelle et collective. De ce besoin de l’être humain vinrent les mythes simples ou complexes du surnaturel pour tenter de donner une sens à l’inexplicable.
Aujourd’hui, bien sûr, nous savons ce qui cause le tonnerre (bien que la peur instinctive du tonnerre demeure pour beaucoup) et les zones inexpliquées de la vie sont moins nombreuses. Celles qui restent sont repoussées au-delà de l’environnement physique que la science a expliqué avec beaucoup de compétence, aux aspects plus métaphysiques et immatériels du cosmos qui nous échappent encore. C’est ici que beaucoup d’individus se tournent vers des réponses surnaturelles .
Mais le principe de recherche de réponses est le même que celui des débuts de l’humanité, il est simplement plus subtil. Alors que la religion découle d’un besoin de la nature humaine, elle a tendance à se concentrer sur le surnaturel dans la mesure où celui-ci transcende le monde humain dans des théories élaborées qui servent souvent à masquer complètement les explications naturelles. Du développement élaboré d’un point de vue surnaturel , découle la rigidité dogmatique, la tradition et la coutume de dicter les convictions religieuses. La capacité à analyser pourquoi la religion est acceptée comme telle devient difficile, cela devient un mode de vie et on en vient à accepter quelque chose uniquement sur la base de la foi.
Dans le monde d’aujourd’hui, l’humanisme se réclame d’une telle analyse de religion . Il demande, de la même manière qu’il le ferait pour tout autre aspect de la vie, quels sont les motifs rationnels de la croyance religieuse ? Et si de tels motifs ne sont pas convaincants, alors tous les aspects de l’existence qui sont influencés par le raisonnement religieux, le sont de façon injuste et irrationnelle.
S’il n’y a aucune raison rationnelle pour la croyance religieuse, alors il n’y a aucune raison d’accepter aveuglément l’intervention de la religion dans des domaines tels que l’éthique médicale, le système judiciaire et l’éducation, par exemple. Il n’existe pas non plus de motifs religieux valables contre le droit de tout individu de faire des choix personnels et éclairés sur des questions comme l’homosexualité, l’avortement , la contraception et ainsi de suite. C’est l’effet collectif de la religion sur les êtres humains qui est ici en cause, un effet collectif qui empêche le libre-arbitre et l’épanouissement.
Il est toutefois important de ne pas définir la religion, telle que nous la connaissons aujourd’hui, de façon trop restrictive. Cela a été mentionné dans les deux modules d’introduction de ce cours. En effet, toute analyse de la notion de Dieu (à laquelle nous reviendrons plus loin) montre immédiatement qu’il n’y a pas qu’une seule définition du phénomène qu’est la religion .
Il n’est pas non plus vraiment possible de se référer à la religion chrétienne ou à la religion bouddhiste, ou à toute autre religion. En fait, il n’y a que des chrétiens, des bouddhistes, des hindous, des juifs, des musulmans, etc., qui se différencient considérablement en termes de croyance, d’interprétation scripturaire et d’affiliation religieuse. Alors que l’humanisme contemporain commence à se préoccuper des grandes religions du monde, néanmoins, l’humanisme en tant que phénomène occidental affronte plus volontiers les religions révélées que sont le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam – trois religions qui ont de tellement forts éléments de surnaturel . Ce sont ces religions qui sont intimement liées à l’expérience existentielle de l’humanisme, et c’est vers elles, en particulier, qu’il adresse sa demande de fondements rationnels à la croyance religieuse.
Il est important de noter que l’humanisme n’a pas toujours entièrement écarté la religion . Toutefois, l’humanisme moderne se caractérise par une position athée ou agnostique, bien que la réciproque – à savoir que tous les athées ont automatiquement des attitudes de vie humanistes – est certainement fausse. L’athéisme et l’agnosticisme sont des sujets que nous verrons dans un autre module plus tard, mais vous voudrez peut-être noter ici que l’athéisme est le rejet de la croyance dans toute forme de divinité. L’agnosticisme a une signification plus large, mais on pourrait la définir simplement ici comme le rejet de la croyance en une divinité tant qu’il n’existe aucune preuve suggérant qu’un tel être existe.
Nous pouvons définir l’attitude de vie comme étant l’interprétation particulière d’une personne ou d’un certain nombre d’individus ayant la même vision des choses sur la vie, et le fait de vivre en conséquence. C’est un concept important, car le fait d’avoir une attitude de vie signifie qu’il y a eu une bonne part de réflexion et d’analyse de nombreux aspects de la vie avant qu’une personne adopte et défende son attitude de vie.
Aujourd’hui, l’humaniste engagé, tout en ayant la tâche de critiquer les vestiges du contrôle religieux de ce qui devrait être des questions purement laïques, a moins de problèmes à convaincre le protestant moyen que son point de vue religieux nécessite une analyse rationnelle. Les églises sont toutes à peu près vides et la plupart des gens dépensent peu ou pas de temps pendant la journée à penser à un Dieu lointain et ce même durant les moments spéciaux du calendrier religieux. Un jour de fête religieuse comme le lundi de Pâques on trouvera les parkings entourant les grandes surfaces plein de gens très laïques.
Aux États-Unis, cependant, c’est quelque peu différent. Avoir une certaine affiliation religieuse est beaucoup moins important dans certains pays qu’aux États-Unis, où une conformité plus subtile à la religion imprègne la psyché américaine. Il semble que, pour être respectable et « moral », on ne peut s’afficher comme un « non-croyant ».
De toute évidence, le public américain affiche une confiance plus grande et plus évidente dans le Dieu chrétien que le public britannique. Le fait par exemple que le président Clinton a présenté ses excuses pour son abject « péché » à la nation américaine, suggère que ses conseillers et lui ont fait une évaluation prudente de la nation américaine comme étant fondamentalement « religieuse » – du moins en apparence. Bien que la plupart des gens en Grande-Bretagne semblent conserver la foi en Dieu, peu d’entre eux participent activement à des services religieux. La croyance en Dieu et l’appartenance à une confession religieuse, sont en baisse parmi la population britannique depuis quelque temps.
Nous vivons à une époque de progrès technologiques et scientifiques rapides. Les limites de nos connaissances de l’univers sont en constante évolution. Les vieilles idées bibliques de la création sont depuis longtemps passées de mode, sauf pour quelques intégristes. L’humanisme rejette le concept d’un dieu créateur et également qu’il doit y avoir un commencement dans le temps imposé par une divinité surnaturelle . Vu l’immensité du cosmos, il semble inconcevable et illogique qu’il puisse y avoir un être tel qu’un « Dieu » anthropomorphe qui est responsable de la création, du salut et de la punition d’un nombre restreint de personnes qui se disent chrétiens, sur une planète qui n’est qu’un grain de poussière dans le cosmos !
La division entre la science et la religion en général, demeure profonde. La science se préoccupe de l’étude de ce qui est réel et de ce qui peut s’expliquer comme réalité empirique. (empirique décrit ce qui est observable par l’expérience et non pas accepté comme une simple théorie.) la religion et la théologie (l’étude de la religion théiste) se préoccupent de ce que l’on croit être la « réalité », mais c’est une « réalité » qui ne peut jamais être connue ni prouvée. La religion prétend que la « réalité » théologique inaccessible, est reconnaissable par la « présence » surnaturelle d’une manifestation de cette prétendue « réalité » sous la forme d’une divinité. C’est le genre de surnaturel non-empirique que l’humanisme rejette.
Étant donné le rejet de toute réalité qui n’est pas « naturelle », Le terme « nature » se réfère à ce moyen exclusif par lequel les êtres humains sont capables de construire une épistémologie, ou une théorie de la connaissance. Rien ne peut être connu à l’extérieur de la nature, parce que nous n’avons aucune preuve certaine et irréfutable sur laquelle fonder une telle connaissance. C’est cela le naturalisme , la théorie que la nature nous offre un monde réel et matériel dans lequel opérer où nous pouvons bâtir une connaissance qui permet de développer nos idées et concepts à la suite de ces mêmes connaissances.
Laisser entendre que nous devons aller au-delà du naturel – à une sphère surnaturelle – pour certaines de nos réponses est un concept rejeté par l’humanisme. Seule la connaissance acquise par l’intermédiaire de la nature est empirique, même si elle est adaptée postérieurement en fonction de nouvelles preuves. En effet, il y a suffisamment à connaitre dans toute la nature, toute la vie et dans l’ensemble du cosmos ! Toute connaissance surnaturelle ne peut être soumise à aucune sorte d’enquêtes logiques et empiriques . Elle n’est, au mieux, rien de plus qu’un point de vue subjectif détenu par toutes sortes de personnes qui ne peuvent pas justifier leurs connaissances en quoi que ce soit au-delà d’une expérience elle-même subjective.
Le rejet de toute forme de surnaturel est une épistémologie qui est résolument enracinée dans la réalité de la nature et fait en sorte que l’humanisme rejette nécessairement la croyance religieuse. La validité de l’enseignement des religions établies et des institutions ou des églises qui en font la promotion, sont également rejetées. Et avec le rejet du surnaturel vient aussi un déni des théories dualistes si importantes pour la croyance religieuse, le dualisme du corps et de l’âme, le dualisme d’un monde terrestre et d’un monde divin, le dualisme du ciel et de l’enfer et leur dualisme concomitant de récompenses et de châtiments dans l’au-delà, le dualisme d’un monde matériel et spirituel et de la morale terrestre et spirituelle.
Un tel rejet pousse les humanistes à mettre l’accent sur la valeur intrinsèque et le potentiel de chaque être humain. L’être humain n’est plus dénaturé et séparé entre corps et âme, visant une récompense fictive dans un ciel fictif, mais est un être humain intégral capable de s’acquitter pleinement de sa propre nature véritable et naturelle dans cette existence. Beaucoup de gens aujourd’hui sont enclins à ne pas prendre au sérieux ce dualisme corps-âme ou même la question de l’existence de dieu. Mais les vestiges de la croyance religieuse demeurent : participation à la vie chrétienne, aux rites de passage, envoi des enfants à l’école du dimanche, entretien des sentiments de culpabilité de soi-disant « péchés », acceptation du contrôle religieux sur certains aspects de la vie. L’humanisme défie une telle apathie.
Le monde tel que le perçoit un humaniste, est un univers qui s’est généré et va se terminer, s’il doit se terminer, scientifiquement. C’est un monde diversifié avec une pluralité de formes et un monde bien réel, qui existe indépendamment de notre perception. C’est dans cet univers que l’être humain existe et c’est tout ce qui est nécessaire pour qu’il puisse fonctionner. C’est un univers passionnant et stimulant dans lequel nous vivons, un monde dans lequel beaucoup a été découvert et beaucoup plus encore reste à découvrir, ou de terribles erreurs ont été commises, mais également où des réalisations merveilleuses ont été atteintes. C’est un monde dynamique, dans lequel nous avons besoin d’une réponse dynamique, de coopération et d’une bonne motivation pour se donner des objectifs aux niveaux individuel, familial, sociétal et mondial.
Si des hommes et des femmes demeurent insatisfaits dans l’une ou l’autre des dimensions de leur personnalité en raison de la croyance religieuse et si la société se retrouve entravée par la religion , l’humanisme se doit d’être franc dans ses critiques. Mais il ne faut pas perdre de vue non plus qu’il y a des gens dans de nombreuses religions qui mènent une vie exemplaire et se dévouent pour le bien d’autrui et l’accomplissement d’eux-mêmes en tant qu’individus. Mais il y a également de nombreux non-croyants dont la vie est tout aussi exemplaire. Il n’est pas nécessaire d’être religieux pour être « bon » ou « moral ». Cet aspect sera discuté plus en détail dans les modules (éthiques) de la zone d’étude.